Lofoten, part 2 : et au bout …


Et au bout de la route… la fin de celle-ci.

Ici dans les Lofoten, elle se termine dans le village de pêcheurs simplement nommé « Å »  — cette lettre se prononce comme un O ouvert, ce qui est utile lorsque l’on essaye de se faire comprendre —. Enfin, pour être plus précis, la route prend fin sur un vaste, splendide et rayonnant… parking de bitume, pouvant accueillir au bas mot une trentaine d’autocars, à l’entrée d’un magnifique fjord. Ces 4 heures d’autobus m’auront donc permis de finalement y arriver, au bout de la route, en cet endroit qui ressemble à s’y méprendre à un temple du tourisme. Le village est magnifique, typique, avec ces grandes allées de « rorbus», anciennes maisons de pêcheurs. Celles-ci sont rutilantes, avec leur peinture rouge traditionnelle. L’illusion ne dure cependant pas : leur bon état est avant tout dû à leur caractère locatif.

Rorbus de location

Rorbus de location

Je pense même que leur construction n’est pas si ancienne, sûrement pour répondre à la demande d’hébergement. Pour le toit traditionnel en terre, il faudra repasser : l’ogre de la rentabilité l’a sacrifié pour un toit en tôle banale, offrant une isolation phonique n’ayant d’égal que son isolation thermique, et son charme il va sans dire. Un peu comme leurs fenêtres en PVC. Les rares vraies constructions datant un peu sont en moins bon état, ou carrément laissées de côté, comme celle ci-dessous (à gauche de l’image), jadis utilisée par les pêcheurs pour débarquer les cargaisons. C’est aux mouettes qu’incombe désormais la préservation du patrimoine local…

Abandon

Abandon

Je termine mon après-midi en errant dans les rues presque désertes de ce village fantôme, vestige d’une époque bien révolue. Fini le temps où ces petits villages vivaient de la pêche, avec une population locale composée d’autre chose que de touristes. Surtout ici. Ma chance est néanmoins d’être hors saison, le calme est donc une maigre consolation. L’unique boutique locale vend quelques souvenirs du bout de ce monde, à un prix défiant son inexistante concurrence. C’est également dans cette échoppe que l’on peut se délester du prix d’un ticket autorisant la visite de quelques maisons reconverties en musées à thèmes, sur les métiers ayant autrefois résonné dans cet abri côtier. De somptueuses vidéos, repompées directement de leur VHS originale vieille de 10 ans, vous accueillent chaleureusement, comme à l’ancienne forge. J’y reste scotché devant un film : cinq longues minutes où un forgeron en action ne décoche pas un seul mot. De quoi en rester bouche bée devant tant d’interactions. Les plus optimistes diront qu’au moins il n’y a pas de problème de sous-titrage !

Je m’échappe de Å  par le premier bus, pour rejoindre Balstad, laissant derrière moi ce village dont je pleure intérieurement le triste sort, au bout de cette route que ne mène nul part sinon à lui. J’ai désormais une image associée à l’expression anglaise « dead end ». Le soleil et les montagnes n’auront pas suffit, il ne manque plus que l’épitaphe à l’entrée du village.

Ciel lourd

Ciel lourd

Pourtant, les Lofoten, en région administrative, ont reçu la quasi intégralité de l’enveloppe du Nord de la Norvège pour développer le tourisme — aka la stratégie « tous les œufs dans le même panier » —. Et la Norvège est un état pour le moins riche, très riche. C’est donc un pactole colossal qui est arrivé ici, et aux bien tristes conséquences. Outre un réseau routier complètement sous-calibré pour un flot continu de camping-cars et de bus pendant la saison, c’est la vie traditionnelle qui a été mise au second plan pour tout miser sur le dieu touriste. Au final, ils ont réussi leur pari et le nom de ces îles attire désormais des foules venues du monde entier. Les Lofoten méritent d’être vues, vécues, arpentées en randonnées pour découvrir des paysages sans cesse à couper le souffle, de la nature à foison et parfois trouver comme par magie quelque maison isolée. Fallait-il pour autant que ce développement touristique soit au prix de son âme ? Quelques mots avec les locaux me suffiront pour avoir un avant goût de la réponse… et je pense les comprendre, bien que n’étant pas d’ici.

De retour dans les Vesterålen, à la ferme, l’ambiance me semble tellement plus humaine, et en tous cas à des lieues de l’usine que je viens de quitter. Les Vesterålen ont un charme bien à elle, que leur envie même les Lofoten. Des terres plus larges, plus sauvages, dont toute une partie est dissimulée et qui requiert de marcher plusieurs heures pour y accéder. L’une des particularités des Vesterålen est la présence dans certains fjords de baleines que l’on ne peut observer que là. Ce qui est ironique, c’est que les Lofoten voisines se servent de cette image en couverture de leur brochure… Elles empochent en passant les sous des touristes venus admirer ces créatures, sans rien reverser à la région voisine. Normal.

Rorbu et reflets

Rorbu et reflets

La Norvège, quoique étant spécialement riche, cultive les paradoxes. L’un d’eux : pêcher des poissons dans les eaux à proximité des côtes, les congeler pour ensuite les envoyer en Chine. Là-bas, les filets seront levés, et le tout sera renvoyé en Norvège. Bah oui, c’est ainsi : pas de petite économie, même quand on est riche, et tant pis pour l’écologie ou l’emploi local. D’ailleurs, l’écologie, c’est également ici de produire de l’électricité avec l’eau de la fonte des neiges, au travers de barrages. Cependant, au lieu de produire et d’utiliser cette énergie tout au long de l’année, l’intégralité de l’eau passe dès son arrivée. L’excédent de l’électricité produite est revendue à la Suède voisine durant le printemps et l’été. Et en hiver, et bien les norvégiens importeront des centrales nucléaires allemandes ce qui manque en énergie . Très logique, et sûrement rentable.

Accrochez-vous au pinceau, on enlève l’échelle… Puisque la Norvège est riche, pas de maternité dans les Lofoten ! Mais pas de soucis : les femmes enceintes iront environ 15 jours avant le terme dans un hôpital à Bodø, le tout aux frais de l’état. Et pour les visites de contrôle, bis repetita. Non, un médecin spécialiste ne fera pas le voyage pour inspecter l’ossature des enfants dans un hôpital local pourtant équipé du nécessaire, ici dans les Lofoten ou les Vesterålen. Mais ici pas de spécialiste car pas de travail à plein temps, donc tout le monde ira sur le continent, à une demie heure d’avion. Stupéfiant et bien réel.

Quoiqu’il en soit, la vie est globalement en Norvège bien meilleure pour les habitants que dans la plupart des pays au monde. Néanmoins, le capitalisme a bel et bien gagné, et le magot dormira dans les caisses plutôt que de le dépenser pour le développement durable, l’autonomie ou pour le bien être des habitants.

Heureusement, la vie est belle ici. Le travail difficile, crevant. Pourtant, il est de bon ton de ne pas dormir trop tôt, car une nuit, rare spectacle magique au dessus de ma tête… justifiant à lui seul ma présence ici !

Aurore boréale

Aurore boréale

Plus de photos dans la galerie ou sur mon FlickR ! Pour les informations concernant les tirages, c’est ici 🙂

4 réflexions sur “Lofoten, part 2 : et au bout …

  1. Merci pour ces beau récits très vivants, et les belles photos. La dernière de l’aurore boréale a été prise à la volée ? elle est magnifique par ses couleurs et son cadrage.
    Bonne continuation, et à très bientôt au travers de tes recits.

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